Les limites de la volonté

À trop chercher à atteindre un objectif, il nous échappe. Et c’est en joggant que j’ai trouvé la meilleure illustration de ce phénomène. Courir peut mener à bien des réflexions. Il y a quelques mois donc, j’en étais à essayer de trouver le bon rythme : vitesse, respiration, cardio... Moi qui n’avais jamais couru qu’après le temps, j’ai plusieurs fois frisé l’infarctus lors de mes premières tentatives de footing. Le cœur en compote, j’ai abandonné l’idée de devenir Carl Lewis et je me suis mis à courir tranquillos en écoutant des podcasts (Sens Créatif !!!) Sans forcer, j’ai finalement enquillé les kilomètres, oubliant mon souffle et ma vitesse : mon corps avait naturellement trouvé son rythme et donné une belle leçon à mon cerveau despotique qui s’acharnait à vouloir atteindre à tout prix un objectif.

Clod blog l'illustrateur vu de l'intérieur : les limites de la volonté

Des exemples de ce type sont pléthores dans notre quotidien ; le clou qui se tord à trop vouloir l’enfoncer à coups de marteaux, ou encore le sommeil qui nous échappe à tant désirer l’atteindre. Côté création, nous vivons cette expérience presque quotidiennement, à notre grand désarroi. Une petite esquisse jetée à la va-vite sur un bout de papier de façon désintéressée aura une expressivité et une force que nous n’arriverons pas à retrouver dès lors qu’il y a l’intention d’obtenir un résultat. De même que le cerveau se bloque dès que s’impose à nous une volonté trop forte de trouver la bonne idée sur un projet. Idée qui surgira plus tard du pommeau de la douche, au moment où l’on s’y attend le moins. On se rafraîchit les idées sous la douche, il parait.

Il en va des petites choses comme des grandes, hélas ! Une volonté trop tendue vers un objectif de carrière peut s’avérer inefficace, voire contre-productive. Faire rentrer un rond dans un carré, c’est compliqué ! Mais alors que se passe-t-il ? Pourquoi, lorsque l’effort est décuplé, le clou se tord au lieu de s’enfoncer ?

Au tout début du début d’un projet, la volonté s’impose comme une évidence ; une force nécessaire à la mise en branle de la machine. Et ça fonctionne ! On avance, on progresse rapidement, les petits objectifs sont atteints, les premiers obstacles franchis avec succès, grâce à une volonté toujours plus forte… jusqu’au moment où, ça bloque. Le premier réflexe est de redoubler d’effort : erreur fatale ! Gonflée à bloc, la volonté s’est transformée en acharnement épuisant, ne menant nul part.

Au moins deux raisons peuvent expliquer ce phénomène. D’une part, un excès de conscience face à un enjeu surévalué peut paralyser, alors qu’un zeste d’insouciance permettrait justement un relâchement heureux. Cela ne signifie en aucun cas que le résultat sera parfait, mais il se pourrait bien qu’une forme d’abandon, permette d’être soi-même, de viser juste et finalement de toucher la cible en son centre. Une trop forte conscience de soi perturbe la spontanéité. C’est un peu comme être le spectateur de soi-même… flippant ! D’autre part, la peur de l’échec, normale en soi, peut se transformer en peur d’avoir peur, figeant tout sur son passage.

Heureusement pour les coachs, il y a des fausses solutions. Premièrement : redoubler d’effort, option nulle comme on l’a vu plus haut. Deuxièmement : le fameux lâcher-prise. Le lâcher-prise est une contradiction en soi, car il se trouve lui-même sous joug de la volonté « je veux lâcher prise, je veux lâcher prise, je veux… » Tout le contraire de l’abandon. À bannir ! Troisièmement : la stratégie de la non-réussite, qui se résume par « je m’en fiche… ce  n’est pas si important… je ne veux pas spécialement réussir ce projet… » Là encore la volonté avance, mais masquée, avec en fond un but à atteindre.

On est mal, car il n’existe pas vraiment de recette miracle pour enrayer ce phénomène, mais quelques pistes valent le coup d’être explorées. Pour commencer, tout ce qui commence par « il faut que j’arrête de… je dois m’efforcer de… » est à coup sûr une impasse. Prendre conscience que l’on insiste trop est un atout. Éviter l’empressement aussi. Une des possibilités pourrait se trouver dans la répétions des gestes pour eux-mêmes, le « un peu chaque jour », de telle sorte que l’objectif soit peu à peu « oublié ». Enfin, la meilleure piste se trouve sans doute dans le non-agir. Il y a comme un paradoxe entre le besoin d’action pour atteindre un objectif et s’arrêter pour pouvoir l’atteindre. La pause permettra peut-être de débloquer la situation. Faire autre chose de complètement différent afin que l’objectif soit renvoyé au second plan, tout en laissant notre cerveau faire le travail inconscient nécessaire alors que nous nous distrayons ailleurs.

La tentation de tout contrôler fige le monde en général et la créativité en particulier. Les petits et les grands succès adviennent aux moments les plus inattendus, alors que toute forme de volonté ou de contrôle ont disparu. Je vous invite à parfois poser vos crayons, à écarter votre to-do-list, à éteindre vos écrans et à aller voir ailleurs si votre objectif ne s’y trouve pas.

Deux ouvrages m’ont inspiré cette réflexion :

❋ L’usage du vide, de Romain Graziani, Éditions Gallimard
❋ Rendre le monde indisponible, d’Harmut Rosa, Éditions de La Découverte

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