Le succès de la réussite

On ne va pas se raconter des histoires : nous avons tous envie de réussir ! Les créatifs bien plus que les autres d’ailleurs. Le mythe de l’artiste incompris, ne créant que pour l’Art, et qui, passez-moi l’expression, se les gèle à peindre dans la froideur humide d’une chambre de bonne, je n’y crois pas vraiment. Personnellement, finir à moitié cinglé avec une oreille coupée et une balle dans la poitrine, n’est pas franchement ce à quoi j’aspire professionnellement. Dans ce métier, une idée motive une bonne partie de nos actions : réussir. Ce n’est pas mal, c’est inhérent à toute forme d’entreprise et donc à notre activité de créatif.

Clod blog : le succès de la Réussite

Dès lors se pose la question de qu’est-ce que réussir et qu’est-ce que le succès. A ce stade de notre réflexion, notons que l’idée de réussir ou de succès varie d’une personne à l’autre. Parfois l’idée même de réussir n’est pas bien définie : on veut juste « réussir », avec tous les phantasmes qui accompagnent cette idée – je vous passe les clichés moisis de la piscine remplie de billets de banque. Afin d’éclairer un peu le débat, je propose de vous faire part de mes réflexions sur le sujet, car figurez-vous que c’est une question qui m’occupe pas mal l’esprit.

D’abord je distinguerais le succès de la réussite. Il me semble que le succès se rapporte davantage aux rapports humains. Le succès pourrait s’apparenter à une forme de reconnaissance. La reconnaissance de ses pairs : vos confrères et consœurs s’accordent à reconnaitre en vous un maître de l’illustration. Ou bien encore la reconnaissance du Grand Public, qui en France, semble avoir beaucoup moins de valeur que la reconnaissance de ses pairs. Que voulez-vous, dans ce métier, nous aimons bien, lors de vernissages, nous tapoter dans le dos, entre gens de bon goût graphique… moi le premier. Quoi qu’il en soit, quand le besoin de reconnaissance frappe à la porte, l’illustrateur espère bien que c’est le succès qui se présente avec un magnifique bouquet de fleurs dans une main et une bouteille de champagne dans l’autre. Ça fait rêver !

Quant à la réussite, je la rapprocherais d’un certain épanouissement matériel. Disons-le : réussir c’est gagner de l’argent. Mais combien ? Là encore la question dépend de chacun et évolue au cours du temps. Je me souviens qu’au début de ma carrière d’illustrateur, je m’étais fixé un revenu pour lequel je serais pleinement satisfait. Gros naïf que j’étais : on en veut toujours plus ! Le chiffre a peu à peu évolué en même temps que mes aspirations et mes désirs. Pauvre humain que je suis à vouloir devenir riche ! Vous comprendrez alors que la réussite est difficile à saisir. D’ailleurs, nous vivons une époque où il est sage de revoir à la baisse nos « besoins » matériels.

Réussite ou succès, les deux termes se mélangent dans les esprits pour former l’idée de se tenir sur une sorte de podium doré, dans la lumière des projecteurs, applaudi par tous. Nous pouvons bien sûr avoir du succès pour tel projet ou bien réussir à atteindre tel objectif. Ce sont-là des moments à savourer et qui permettent de prendre conscience de l’évolution d’une carrière. Mais est-ce à signifier que l’on a Réussi avec un grand « R » ?


Pourquoi il n’est pas raisonnable de vouloir Réussir pour un créatif ?

La Réussite, c’est une projection que se font les autres à propos d’une carrière. C’est ce qu’ils imaginent pour eux. C’est difficile, voire impossible, de ressentir la Réussite pour soi-même. A quel moment peut-on décréter « j’ai réussi » ? Au quotidien, « celui qui a réussi » aux yeux des autres, a plus l’impression de se démener pour avancer que le sentiment d’être sur un podium. J’appelle ça « le syndrome de Jules » ; personne ne douterait de la réussite du fameux écrivain Jules Verne, pourtant, ce dernier, avait le sentiment d’avoir raté sa carrière. Il se rêvait en Balzac, alors qu’il n’écrivait des livres à succès « que » pour les enfants. En réalité, notre propre Succès ne nous appartient pas, ce n’est pas notre problème, mais celui des autres.

La Réussite supposerait que le créatif ait atteint un point où tout est réalisé : « j’ai réussi ! » Quelle horreur ! Et combien même il atteindrait le haut du podium, que lui restera-t-il s'il estime avoir atteint la Réussite ? Ce serait une forme de finitude ; tout le contraire de la créativité en somme, qui suppose qu’on se renouvelle. À moins de repousser sans cesse le fameux point culminant. Dans ce cas la Réussite serait insaisissable ; une quête sans fin en somme.

Enfin, motivé par l’unique idée de Réussir ou à vouloir le Succès à tout prix, le créatif risque de se perdre en cours de route, de se tromper d’objectif et d’oublier la passion qui l’anime. Entre l’envie de réussir – rappelons-le, inhérente à notre profession - et se fixer comme objectif « Réussir », il y a un monde ; un espace où le jeu a toute sa place et où le détachement par rapport au Succès peut paradoxalement propulser tout un chacun vers les sommets les plus hauts.

Chercher un équilibre entre l’épanouissement artistique et le bien-être au quotidien me parait être une quête plus accessible. Se réveiller le matin avec l’envie d’avancer vers des terres inconnues, et non pas vers un point culminant, voilà une obsession raisonnable. Le métier d’illustrateur c’est d’explorer, de multiplier les expériences et non pas s’installer dans un fauteuil en cuir bien confortable et s’endormir sous la lumière des projecteurs. Finalement la Réussite ça serait de ne jamais l’atteindre.

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