L'illustrateur, le labeur et l'argent du labeur

A tort ou à raison, j’ai toujours considéré l’illustration comme un métier plus artisanal qu’artistique, dans la mesure où je suis rémunéré pour répondre aux besoins d’un commanditaire. Dès lors se pose la question de l’argent. Quand je dis « la » question de l’argent, je pense « aux » questions liées à l’argent. Après quelques années de pratique, je peux vous assurer que le rapport à l’argent est l’un des aspects de ce métier le plus compliqué à gérer.

Clod illustration blog le rapport de l'illustrateur à l'argent

Avant toute chose, allongez-vous sur le divan ! Nous allons aborder la question sous l’angle psychologique. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal ! Si, comme moi, vous venez d’un milieu social modeste, vous aurez du mal à séparer l’argent du laborieux. Car, dans votre conception du monde, gagner de l’argent est synonyme de travailler dur et de suer corps et âme sur votre ouvrage. Impossible de dissocier les deux. Dans l’exercice quotidien de ma profession, deux exemples m’ont permis d’en prendre réellement conscience.

D’une part, pour légitimer le fait que je gagne de l’argent en réalisant des illustrations, je n’ai de cesse d’utiliser le mot « travail ». J’ai beau essayé d’arrêter de l’utiliser, mais sans cesse il revient hanter mon propos – encore une fois dans cet article, vous noterez ! D’autre part, j’ai remarqué que pour mes commandes les mieux payées, j’avais tendance à redoubler d’effort de façon irrationnelle, comme si je devais « en donner pour leur argent » à mes clients. Ces deux exemples montrent à quel point notre rapport à l’argent peut être biaisé. Pourtant, le rapport entre argent et sueur n’a aucune réalité objective. Vous pouvez très bien gagner de l’argent en travaillant peu et travailler énormément sans gagner un sou. Le prix d’une illustration ne se résume pas à la somme de travail qu’exige sa réalisation.

Même si, dans une certaine mesure, le fait de travailler plus augmentera vos chances d’accroitre vos revenus, il est impossible d’établir une règle absolue. En réalité, votre propre rapport à l’argent pourrait bien être un obstacle à votre épanouissement professionnel, car si vous venez d’un milieu social modeste, vous aurez tendance à sous-estimer vos prix. Il s’agit d’en être conscient, au moment de définir un prix ou de négocier des droits.

La société elle-même développe certains réflexes par rapport à l’argent. Notamment un phénomène que j’appelle « le syndrome de gravure ancienne chez le brocanteur ». En deux mots, vous tombez sur cette supeeeerbe gravure ancienne, chez le brocanteur. Au prix de 2 euros, vous ne l’achetez pas car vous considérerez qu’elle n’a pas de valeur, au prix de 20 euros vous cédez. Pour la plupart d’entre nous, tout ce qui n’est pas cher, n’a pas de valeur. Si vous travaillez pour pas cher ou gratuitement, votre travail n’aura aucune valeur et sera considéré comme tel, vous-même serez considéré comme un illustrateur de piètre qualité. Pensez-y lors de votre prochain devis, toute proportion gardée bien sûr.

J’en viens donc au cœur même de mon propos. Le bon prix pour une commande d’illustration est le prix juste. Si vous estimez être sous-payé, vous vous en voudrez d’avoir accepté, vous ne pourrez pas vous épanouir dans la réalisation de la commande et la moindre demande de modification de la part du client, vous irritera et il flottera comme un parfum d’irritation dans l’air. La qualité de votre production pourrait bien en pâtir. Pire, votre travail n’aura pas la considération qu’il mérite. Personne ne sort gagnant de ce genre de collaboration. Savoir donner un prix, le prix juste, c’est savoir à partir de quelle somme, il vous sera possible de vous épanouir dans la réalisation de votre projet, en toute confiance avec votre client.

Devenir illustrateur.trice pour s’enrichir est sans aucun doute une mauvaise approche de ce métier. Néanmoins, il faut réfléchir sérieusement, sans tabou et sans mépris, aux questions de l’argent. Une fois cette affaire réglée, vous pourrez vous consacrer entièrement à votre art.

Quant aux prix que je pratique personnellement, ils tiennent compte du nombre de sollicitations dont je fais l’objet et de ma capacité à répondre aux demandes. Ce qui est certain, c’est que pour mon prix, mes clients ont la qualité, la souplesse, le respect des délais et la créativité - à savoir trouver des idées adéquates et une « patte graphique ». Il est toujours possible de trouver moins cher mais ceux ou celles qui s’y risqueront « en auront pour leur argent ».

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