Petites cogitations sur le parcours d’un illustrateur

Le temps des vacances est propice à la réflexion. L’autre jour, je cogitais donc à plein régime sur mon parcours pro en sirotant une petite bière en terrasse. Je pensais que si la somme de nos actes fait de nous ce que nous sommes dans la vie, alors je pouvais appliquer cette assertion philosophique à ma carrière d’illustrateur. Et là d’un coup, j’ai vu clairement que ma carrière d’illustrateur, au point où elle en est aujourd’hui, s’était construite en trois temps. Si vous travaillez en freelance - ou pas, d’ailleurs ! - vous trouverez peut-être dans ces réflexions des ressemblances avec votre histoire, et qui sait, des réponses à vos questions.

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Dans un premier temps

Lorsqu’on se lance en tant que créatif indépendant, le premier objectif que l’on se fixe, c’est évidemment de gagner de l’argent grâce à son art et quand les premières commandes tombent, on en revient à peine : on peut donc gagner sa vie en réalisant des illustrations ? Mais ouiii c’est possible ! C’est le temps où l’on cherche son style. On est même prêt à faire « à la façon de… » pourvu que l’on soit « payé pour… » On réalise le faire-part de mariage du fils de la boulangère. On passe un temps incroyable à dessiner une main ou la posture d’un personnage. Bref, on se fait les dents et dans quelques années on regardera toute cette production avec tendresse, mais aussi avec un peu de gêne tellement les imperfections graphiques sautent aux yeux. C’est le temps béni où l’on s’autorise tout et l’on se pardonne tout, car tout reste à faire. Il y a de l’insouciance dans l’air que l’on respire à plein poumons !

Dans un deuxième temps

Après deux ou trois ans, les affaires démarrent vraiment, et on peut affirmer avec fierté à son entourage que l’on exerce le métier d’illustrateur. Oh ! ce n’est pas l’Amérique mais, dorénavant on déploiera tous ses efforts à développer son activité. Pour cela il existe beaucoup d’outils, des techniques de marketing, des méthodes de communication, des logiciels de graphisme, des outils de développement informatique… On investit dans du matériel, on lit beaucoup, on apprend énormément, on écoute les conseils… Bref on avance vite et fort. D’un point de vue artistique, le trait s’affine, le style prend forme, on commence à maitriser l’ensemble des codes graphiques. On prend énormément de plaisir à travailler, car chaque projet devient un véritable moyen de se surpasser et de progresser vers le succès tant espéré. Et, ça marche ! La maîtrise des outils associée au travail passionné donnent des résultats surprenants, les commandes s’enchainent et les années passent.

Dans un troisième temps

Voici le temps des cerises… enfin de la récolte des cerises. Tout ce que l’on a semé durant quinze ans porte ses fruits. C’est le temps de la satisfaction. Les commandes affluent – on s’étonne même encore parfois de gagner sa vie avec sa passion – La communication est bien rodée, le site web tourne bien, on parade sur les réseaux, on rigole avec les clients (enfin avec certains). Les conseils, on ne les recherche plus, on nous les réclame, on commence même à écrire des articles sur le métier, parfois même on est invité à parler de son parcours pro sur un podcast (merci Jérémie de Sens Créatif) et on participe à des forums de métiers dans des écoles de graphisme. Et puis côté artistique, on maîtrise son art dans les moindres détails, trop sans doute. Entre nous, on s’embourgeoise un peu et entre nous encore, on commence à s’ennuyer.

Avec le temps…

Avec le temps – dix-huit ans exactement - l’illustrateur que l’on est devenu est la somme exacte de tous ses actes, ses succès et ses échecs, tout ce qui a été essayé, appris, osé, tous les choix et les non choix. Il y a quelques regrets et aussi la nette impression qu’on aurait pu faire mieux. Pointe alors la question sur laquelle je cogitais en début d’article, puisque tout semble plus ou moins atteint, que reste-t-il alors à faire si l’on veut rester dans la course ? Car dans ce métier, rien n’est jamais acquis définitivement.

Mais enfin, TOUT reste à faire ! Tout remettre en question, tout déconstruire et tout reconstruire autrement, sortir des codes dans lesquels on s’est enfermé, retrouver une forme de naïveté perdue, désapprendre tout ce que l’on sait. Proposer autre chose à ceux qui nous suivent, les surprendre, et tant pis, en décevoir quelques-uns qui veulent écouter encore et toujours la même musique.

Il n’y a pas d’outil pour cela hélas, pas de méthode et pas de logiciel. Non, il faut seulement compter sur notre seule capacité à vaincre nos freins psychologiques et nos peurs. Décidément, j’ai encore beaucoup de boulot et c’est ce qui m’enthousiasme.

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