Ce qui est génial avec le métier de free-lance, c’est que même après des années d’expérience, on en apprend encore sur soi-même. Nous ne sommes jamais finis, en quelque sorte. Je suis sûr qu’à la veille de la retraite, j’en apprendrai encore sur moi – mais laissons de côté les sujets qui fâchent. L’année dernière, j’ai vécu l’expérience de l’accélération. Je vous la conseille ; on en sort un peu étourdi, mais c’est une expérience riche d’enseignements. Notons qu’il ne faut pas confondre vitesse et accélération. Le problème de l’accélération, qui, contrairement à la vitesse peut être régulée, c’est qu’elle est sans limites autres que celles que nous imposent les lois de la nature humaine. L’année dernière donc, j’ai juste eu le temps de freiner avant de prendre le mur du son en pleine poire.
Les free-lances le savent, la gestion du temps au quotidien s’apparente au mouvement d’un yoyo manié par un gosse hyperactif. Il y a des moments tendus, où le boulot coule à flots avec des délais à faire suer un marathonien et des moments de relâchement où tout s’arrête d’un coup laissant place à un état végétato-dépressif. De même, la carrière d’un créatif peut connaître différentes périodes plus ou moins actives. Dans l’ensemble, il est souhaitable qu’une situation professionnelle aille en s’accélérant et c’est même le signe d’un certain succès. Dans un premier temps donc, l’accélération parait nécessaire, au risque d’avoir l’impression de pédaler dans la semoule.
Au début, l’accélération vous transporte littéralement ; la sensation du vent dans les cheveux, il faut le reconnaître, c’est grisant. L’énergie entraine l’énergie, c’est le moment d’appuyer sur le champignon, tout en profitant du paysage qui défile. Sur les réseaux sociaux, par exemple, montrer plus, commenter plus, partager plus, sont autant de possibilités d’accélérer le mouvement. Ce sont là, les bienfaits de l’accélération nécessaires à une carrière dynamique et prometteuse. Tant que la vitesse est maitrisée, tout va bien.
Avec l’accélération, il faut apprendre à travailler mieux, plus vite et faire un véritable effort d’organisation. En l’occurrence, en illustration, il s’agit d’aller à l’essentiel. Le trait se dépouille, les outils sont maitrisés, les idées affutées, tout est parfaitement « under control ». Mais, une fois l’optimisation atteinte, si l’accélération se poursuit, le temps se compresse. Ou plutôt, le temps nous compresse, c’est-à-dire, qu’il ne reste plus aucune place pour la moindre « désorganisation », alors vous pensez bien que la fantaisie ne peut plus s’inviter dans les créations comme elle le faisait par le passé. Trop de boulots, trop de réseaux, trop de chantiers en cours, trop de sollicitations, trop de projets, trop de tout. Évidemment, à force d’aller à l’essentiel par manque de temps, les créations s’appauvrissent, et au final ce ne sont plus des créations originales, mais des répétions graphiques desséchées, où l’essentiel a tellement été atteint qu’il ne reste pratiquement plus rien.
Il est alors temps de revenir à une vitesse raisonnable. Rapide, mais raisonnable. Une vitesse qui permet de voir arriver les choses, d’apprécier à nouveau la sensation de vitesse, mais sans avoir peur de chuter. Et surtout, être certain de continuer à avancer en toute confiance. Il s’agit de miser davantage sur la qualité que sur la quantité. Retrouver du temps pour peaufiner ses créations, mieux choisir ses projets, dire plus souvent « non » et reprendre le contrôle de la vitesse. Car, à quoi bon continuer à accélérer si l’on ne sait même plus vers quoi on se dirige ? La question méritait d’être posée !
Tout comme la fusée nécessite une belle accélération pour s’arracher du sol et se placer en orbite, la carrière d’un free-lance demande beaucoup d’énergie pour s’élancer. Un certain niveau atteint, il est sage, de revenir à une vitesse stable en laissant la force d’inertie opérer et pendant ce temps, regarder par le hublot afin d’apprécier la distance parcourue, la prise de hauteur et de mesurer à quel point il est heureux d’avoir la tête dans les étoiles. Je vous l’avais dit au début de cet article : on en apprend tous les jours.