Les secrets de Dume

On peut dire que l’illustrateur Jean-Philippe Dume a de la bouteille. Et ce n’est pas un hasard s’il a su rester dans le coup après des années de métier. Dume s’amuse et c’est peut-être là son secret. Son travail, moderne et coloré, nous donne une belle leçon de savoir-faire graphique. Car que ce soit au trait, en noir et blanc, tout en aplats de couleurs, au crayon gras et même en 3D, sur tablette ou sur papier, une illustration de Dume reste une illustration de Dume, reconnaissable au premier coup d’œil. C’est sans doute ça le vrai style. Et quand le style s’accompagne du talent, on a envie de lui demander comment il en est arrivé là. Je connais sa modestie et sa pudeur à parler de lui, mais je le sais aussi enthousiaste à parler d’images et du métier d’illustrateur. Espérons qu’il nous livre quelques secrets sur ses méthodes et son parcours 🤞🤞🤞

Illustration-Clod-Blog55A

Tu es illustrateur depuis un bon moment ; comment décrirais-tu ton parcours ?

J’ai eu les débuts d'un jeune provincial sans expérience qui débarque dans le Paris des années 90 et qui découvre que son métier n’est pas aussi glamour qu'il s'imaginait. Heureusement, ma famille et mes amis m’ont m'encouragé et soutenu. Au tout début, je réalisais mes dessins à l'encre et à la gouache. Les premiers ordinateurs ont alors débarqué dans les agences de pub et les amis qui bossaient dessus m'ont convaincu que l'avenir serait numérique. Grisé par la nouveauté et les possibilités d'innovations qu’offraient ces machines, j'ai abandonné mes palettes pour des disquettes ! Cette petite révolution a tout changé dans mon travail et mon carnet de commandes s’est rapidement rempli.

Hélas, ce métier ressemble souvent à un grand huit, avec ses hauts et ses bas. Avec le 11 septembre 2001, l'effondrement de la presse papier, la baisse des budgets publicitaires, beaucoup de carrières ont vacillé. J'ai compris qu'il faudrait s'accrocher dur pour réussir à tenir dans ce métier. Comme les revenus ne suivaient pas, j'ai parfois envisagé de tout laisser tomber. Même si certaines vagues m’ont fait boire la tasse (par exemple la première année du covid), je continue d’y croire. Et puis, le dessin c'est vital pour moi, alors j’ai tenu le coup.

À plusieurs reprises, durant ma carrière, s’est posée la question d’être « à la mode » ou pas. Jean-Michel Nicolet, un très grand illustrateur que j'ai eu comme professeur à l'école Émile Cohl de Lyon nous répétait souvent : « Il n'y a rien qui se démode plus que la mode ! » Et il ajoutait que le plus dur dans ce métier, c'était de durer. J’en ai conclu qu’il fallait ne pas être trop tendance, ni trop à contre-courant si on ne veut pas se faire zapper rapidement.

Aujourd’hui, très honnêtement, je ne sais pas si beaucoup de personnes connaissent mon travail. Avec l’Internet, j'ai l'impression que nous sommes tous plus ou moins noyés dans la masse. J'ai un peu du mal à me situer au sein de la profession et je ne pense pas appartenir à un groupe d’illustrateurs spécifiques, mais si je devais m'identifier à une famille, je dirais que je fais partie des illustrateurs qui ont la chance de bosser...


Peux-tu nous parler de ton processus créatif pour une commande ?

J'aime beaucoup alterner des projets très différents et dans tous les domaines : édition, presse et communication. La variété des sujets à traiter m'a toujours plu dans ce métier. Il m’arrive, par exemple, de travailler le matin pour une revue médicale et l'après-midi pour un magazine d'ados. C’est ce qui me convient.

D’un point de vue des outils, je réalise toutes les étapes sur ordinateur. Illustrator pour la base de l’illustration et Photoshop pour les textures. J’ai récemment acquis un IPAD pro sur lequel je fais mes recherches préparatoires sur Procreate. Je commence aussi à m’intéresser à l’animation avec Procreate Dreams, une application dont on va très certainement entendre beaucoup parler ces prochaines années.

Lors de mon processus créatif, il y a d’abord la recherche d’idées - phase que j'aime le moins car souvent pleine de contraintes. Auparavant, je réalisais des esquisses très poussées, ce qui me permettait de gagner du temps, mais j'éprouvais beaucoup moins de plaisir à finaliser mon illustration, avec une impression ennuyeuse de recopie. À présent, j'exécute une mise en place très succincte en construisant directement mon image sur Illustrator ; je passe ensuite directement à la réalisation. J’obtiens une image proche de l’illustration finale. Il arrive cependant que le client insiste pour avoir un croquis en amont, c'est alors un dessin quasiment achevé que je propose.

La recherche de l'idée et la finalisation avec le choix des couleurs me demandent souvent plus de temps que prévu. Le fait que tout soit modifiable à l'infini, ma tendance au perfectionnisme prend le dessus et c'est généralement l'horloge qui détermine la fin des hostilités ! Je prends autant de plaisir à bosser pour un petit magazine inconnu que pour une grande marque, à condition que le client soit respectueux de mon travail et que j'aie un bon feeling avec lui. Le projet de mes rêves ? Celui qui m'amènerait la gloire et la fortune… Ha ! Ha !!! Plus sérieusement, mon véritable rêve c'est pouvoir dessiner le plus longtemps possible.


Peux-tu nous parler de ton inspiration créative ?

Je vois mon « style » comme un dessin qui évolue au fil des ans, dans un cadre bien défini, nourri par mes différentes sources d’inspiration.

L’inspiration, je vais la chercher dans l'art moderne, le Pop Art, les Pulps, l'art brut, le graphisme, l'UPA style, et Pablo Picasso. Ce sont mes influences majeures et les piliers de ma créativité. Je puise aussi beaucoup du côté du cinéma. J’affectionne particulièrement les comédies musicales de Stanley Donen, de Vincente Minelli et de George Cukor. Et le cinéma de Billy Wilder, d’Alfred Hitchcock, de Blake Edwards et des frères Coen. Je travaille en musique très souvent (musique de films, pop anglaise, électro, classique, etc.) Je regrette cependant de ne pas lire davantage en dehors des vacances. Il faudrait que les journées soient plus longues.

Il y a aussi mes carnets de croquis. Au téléphone, aux toilettes, dans mon lit, en regardant la télé, dans les transports en commun, partout où je vais, j’en emporte un avec moi dans lequel je « gribouille » tout et n’importe quoi. Les dessins se chevauchent sur les pages et le réussi y côtoie le complètement raté. Tout se mêle et s’entrecroise ; un numéro de téléphone, une liste de courses ou un film à voir. C’est à la fois un grand défouloir et un labo d'idées pour de futurs dessins. Mes croquis s’apparentent à du dessin brut sans contrainte où je retrouve la sensation du petit garçon qui dessinait avec ses feutres et ses crayons. Je ne croque quasiment jamais d'après nature.

Plus que le manque d'inspiration, c'est la lassitude qui parfois me tombe dessus, quand mon emploi du temps devient trop monotone. Une balade en dehors de Paris me permet d’aller tout de suite beaucoup mieux. Mais c’est le doute qui me travaille le plus. Je suis un perpétuel insatisfait et par conséquent je doute en permanence. J’ai parfois l’impression d'être un imposteur et que tout ça ne sert à rien. On gamberge vite quand on travaille seul chez soi. Les échanges avec mes amis, illustrateurs entre autres, sont salvateurs dans ces moments-là.

Je fréquente beaucoup les musées - mes cathédrales - et j’adore l'Art - ma religion. Je ne vais pas voir autant d'expositions que je le souhaiterais. Dernièrement, j'ai vu l’exposition d’Azzedine Alaïa, couturier collectionneur au Palais Galliéra. J'espère avoir le temps de visiter l'expo Picasso au Centre Pompidou et l'expo Philippe Weisbecker à la maison du Japon. Pour finir, j’aimerais conseiller le livre Mes Moires, de Christophe Quillien et Jean-Pierre Dionnet (édition Hors Collection) et la bande originale du film Doucement les basses de Claude Bolling (à part les deux morceaux à l'accordéon que je zappe !)

Merci à Jean-Philippe Dume de nous avoir livré quelques-uns de ses secrets et d’avoir partagé son expérience en tant qu’illustrateur. Je vous invite à découvrir ses belles illustrations graphiques sur son site ou à suivre ses productions sur son Instragram. Dume est représenté par l’agent Tiphaine.

© Les images de ce site sont soumises au droit de la propriété intellectuelle - Tous autres droits réservés.