Le hamster et les réseaux sociaux

Un hamster qui court dans une roue ! Voilà l’impression que me donne l’utilisation assidue des réseaux sociaux. En dehors de ma propre expérience des réseaux, c’est la lecture d’un article de l’agent d’illustrateurs Jon Cockley (*) qui m’a mis la puce à l’oreille quant à l’influence négative qu’ont certaines de ces plateformes sur le moral des illustrateurs. Que penser alors de ces réseaux en tant que free-lance ? Comme pour toutes les bonnes questions, la réponse se révèle complexe. Je ne détiens pas la vérité en la matière, néanmoins je peux partager mon expérience utilisateur. Courir sans fin dans une roue n’a jamais empêché personne de réfléchir… que l’on soit hamster ou pas.

L'illustrateur vu de l'intérieur : le hamster et les réseaux sociaux

Quand je parle des réseaux sociaux, je me positionne en tant qu’illustrateur cherchant à promouvoir ses créations graphiques. Le hamster que je suis n’hésite donc pas à utiliser allègrement ces formidables outils de partage, qui offrent à la fois la possibilité d’exposer son travail aux yeux de tous et de capter directement l’attention de n’importe qui, aussi haut soit-il dans la hiérarchie professionnelle. 1-0 pour les réseaux !

Mais… cette possibilité offerte « gracieusement » par ces géants de l’internet, n’est pas gratuite – rien n’est gratuit dans ce monde, au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué ! Si vous ne payez pas, c’est que vous êtes le produit. En échange de ces outils, mis à la disposition des hamsters, ces derniers donnent leur temps et leurs données. Gardons en tête que le but de ces réseaux, n’est pas de nous être utile et agréable, mais de faire de nous des consommateurs de pub. Dans ce but, et uniquement dans ce but, tout est judicieusement pensé pour retenir le hamster dans sa roue le plus longtemps possible et ça marche (ça court en l’occurrence) ! – c’est le fameux temps de cerveau disponible. Jusqu’ici, on pourrait considérer que chacun y trouve son compte : on met à ma disposition un outil performant qui m’aide dans mon entreprise, en échange j’accepte la pub et je livre mes données. A titre personnel, je décroche régulièrement des contrats grâce à ma présence sur les réseaux ; j’estime que je ne suis pas volé.

Mais, mais, mais… mon expérience de hamster m’a aussi permis de comprendre qu’en plus de mon temps et de mes données, je lâchais une partie de ma santé mentale. Car, comme la plupart des créatifs, j’ai essayé d’obtenir plus de visibilité, plus de « succès » afin d’avoir plus de boulot - persuadé que TOUT se jouait ici et maintenant. J’ai suivi les conseils des professionnels de la profession, essayé plusieurs stratégies, commenté, liké, partagé… Bref j’ai joué le jeu à fond en utilisant tous ces outils développés dans le but de me retenir sur les réseaux, au point que je finissais par créer du contenu uniquement pour le réseau lui-même et non plus pour promouvoir mes créations. Et de me réveiller le matin avec comme première pensée « qu’est-ce que je vais publier aujourd’hui ? » Un véritable supplice pour un résultat mitigé. Puis un jour - comble de l’absurdité - tomber sur la publication d’une tasse à café à 100 000 likes ! Vous la voyez cette tasse à café dont je parle ? Si on fait le bilan : perte de temps, éparpillement créatif, préoccupation, déception, dépendance et pour certains hamsters, dépression chronique. La note est salée !

Il faut dire que la machine est une merveille d’ingéniosité. L’algorithme nous laisse prendre une longueur d’avance, il nous fait croire que le succès est au bout du like, il nous rend star d’un soir, mais attention, il décide ce qu’il veut, quand il veut. Il peut changer du jour au lendemain - c’est déjà arrivé - et nous reléguer au département des laissés-pour-compte. Il peut même devenir un réseau « has been » – il faudra alors rapidement basculer sur un autre réseau et repartir à zéro. Se battre contre l’algorithme c’est se battre contre des moulins à vent. Même ceux, qui en tête du peloton courent très vite, s'engagent tout droit dans une impasse psychologique, car tôt ou tard, viendra l’épuisement de nourrir sans fin le monstre insatiable et inévitablement se posera la question : quel est le sens de tout ça ? Dès que le moyen devient une fin, le non-sens prend tout son sens. Nous touchons-là aux limites du « je publie, donc je suis ». C’est hélas, le constat amer fait par plusieurs grands influenceurs.

Et puis, disons-le poliment, le succès sur les réseaux n’a pas toujours à voir avec le talent créatif du hamster - la « tasse à café » en est la meilleur preuve. Elle nous couperait presque l’envie d’en boire un, tiens !

Il est difficile pour un free-lance de se départir de cette servitude volontaire. Je vous suggère de continuer à courir dans votre roue, petits hamsters créatifs, histoire de muscler vos pattes et de garder la forme, mais ne vous épuisez pas. Gardez de l’énergie pour la création, soyez inventifs, imaginatifs, et n’oubliez pas qu’il existe un monde en dehors de votre cage où vous pouvez courir dans l’herbe en toute liberté et sans tourner en rond.

(*)We need to talk about Instagram: Illustration agency Handsome Frank on algorithm anxiety

© Les images de ce site sont soumises au droit de la propriété intellectuelle - Tous autres droits réservés.