Le développement personnel

Mon avis d’aujourd’hui ne vaut pas celui d’hier. Et celui de demain ne vaudra pas celui d’aujourd’hui. Mon point de vue change, c’est le fait d’être en mouvement. Je tâtonne, je cherche, j’explore, je me trompe et je change d’avis. Il n’existe pas de Google Maps du parcours créatif. Tant mieux, car c’est être libre que de remettre en question ses propres certitudes. Et s’il y un sujet sur lequel mon point de vue a évolué, c’est celui du développement personnel, ou plus précisément du développement personnel professionnel. On ne parlera ici que de ce qui se passe dans nos métiers et non pas dans notre cuisine (ou notre chambre à coucher). Quand je relis certains de mes premiers articles, mes propos de l’époque me semblent aujourd’hui imprégnés de cette culture du développement personnel, avec des titres du type : « Ne jamais rien lâcher. » L’autodidacte en moi sortait ses griffes acérées ! Je fais ici le point sur cette question, au cas où je déciderais un jour de devenir coach pour créatifs.

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Comment expliquer le succès du développement personnel et toute la ribambelle de livres et posdcasts sur ce sujet ? Un créatif cherchant à développer son activité sera vraisemblablement plus attiré par un livre ayant pour titre « Devenez riche et célèbre en dix étapes » plutôt que par un livre ayant pour titre « Ce n’est même pas la peine d’essayer ». J’ai moi-même beaucoup parcouru les rayons des librairies à la recherche d’ouvrages susceptibles de m’apporter les bonnes recettes. Je pense même que par certains côtés, le développement personnel a pu m’apporter, sinon des recettes, au moins une motivation appréciable dans le développement de mon activité. Comme nous avons tous envie de « réussir » dans cette société construite sur le tout-à-l’ego, le développement personnel se fait une joie de nous aider à progresser, en même temps qu’il s’octroie la possibilité de générer de beaux profits - ce qui n’est pas condamnable quand chacun y trouve son compte. Hélas, le « quand on veut, on peut » ça marche parfois, mais pas à tous les coups !

Le développement personnel est poreux. Il reluque du côté de la philosophie, des neurosciences, de la formation, des croyances et parfois du côté de la connerie (n’ayons pas peur des mots). Quand il se revendique de Sénèque, Marc Aurèle ou même d’Alain, on peut lui accorder un certain crédit. Finalement, le stoïcisme pourrait s’apparenter à une forme de développement personnel façon péplum. Lorsque l’on se trouve dans une impasse professionnelle ou que l’on traverse une période de doutes – ce qui est assez rare dans ce métier, ha ha ! - une aide extérieure, les conseils d’un formateur, ou l’écoute d’un podcast peuvent nous aider à prendre un peu de recul et à y voir plus clair. Rien de sûr toutefois !

Il existe une face cachée du développement personnel. Un peu comme la lune ; elle brille et nous attire, mais elle est difficilement atteignable. Elle nous empêche parfois de dormir et entretient un rapport ambigu avec les loups-garous. Un des grands principes du développement personnel veut que l’amélioration de sa propre vie permettrait, à moyen terme, d’améliorer la vie de tous : « Si je vais mieux, je pourrais alors diffuser mon bien-être aux autres. » On pourrait aussi voir les choses sous l’angle opposé. Si nos sociétés étaient pensées pour être plus humaines, plus écologiques, moins basées sur la rentabilité et le profit, est-ce que nous ne serions pas moins en souffrance (exit la cohérence cardiaque pour calmer le stress) ? Dans le premier cas, il s’agit bien de se décharger de toute responsabilité sociétale sur les individus : c’est de la responsabilité de chacun de s’en sortir, il n’y a plus de projet de société commun pour le bien de tous. Le néolibéralisme l’a bien compris et utilise le développement personnel comme un moyen de se décharger de toutes responsabilités et nous « permettre de tenir le coup ». Le nombre croissant de burn-out professionnels nous donne une petite idée des capacités du développement personnel à nous aider ou... à nous enfoncer.

Côté pratique dans notre quotidien de freelance, le développement personnel permettrait de mieux gérer nos tâches (ou taches). Nous en arrivons à ce que je nomme le syndrome de la to-do-liste : cette liste sans fin, de tout ce qui reste à faire, à entreprendre, à peaufiner, à gérer, à organiser... même le temps libre, car nous devons le rationaliser, lui aussi. ☑️ Penser à prendre du temps (au moins 5 minutes). Nous voyons bien les limites d’un système qui ne peut que mener à l’épuisement. Le développement personnel peut nous aider à gagner plus de temps, à être plus créatif, plus performant et résister plus fort aux tensions... Celui qui puise son énergie dans ces eaux troubles pourra rajouter sur sa to-do-liste : ☑️ s’arrêter avant de s’écrouler !

Les limites sont vites atteintes. Que se passe-t-il quand on échoue, quand la créativité promise n’est pas au rendez-vous ? Quand après avoir suivi toutes les conférences, écouté tous les podcasts, lu tous les livres, force est de constater que l’on n’a pas avancé d’une miette ? La culpabilité nous guette au coin de l’échec. Puisque tout le monde y arrive et que j’ai tous les outils en main pour m’en sortir, je suis un gros nul de ne pas y arriver. Honte aussi à celui qui n’essaie pas, ou plus. Il y a comme une injonction à la réussite et au bonheur. C’est faire peu de cas des déterminismes sociaux, de notre histoire personnelle de notre bagage psychologique. Faire croire que tout ne dépend que de nous, peut conduire à de grosses désillusions. Il existe probablement des vertus de l’échec, mais pour ceux qui se relèvent. Beaucoup restent définitivement sur le bas-côté. Les cyniques diront que ça permet de faire le tri. Si tous les artistes étaient Picasso, ça serait un peu pénible.

Enfin, quand il dérape complètement, le développement personnel devient une véritable croyance qui n’a plus rien de rationnel. Avec le déclin des religions et l’exacerbation de l’individualisme, nous sommes en mal de spiritualité. Certains iront voir du côté des progrès technologiques, d’autres du côté du développement personnel. Des gourous pour chaque discipline se trouvent assez facilement. On a la spiritualité qu’on peut. Sachant que parfois les croyances peuvent engendrer les dérives que l’on connait.

J’entends déjà des voix qui s’élèvent et pas seulement celles des coachs. Des créatifs auront pu bénéficier, moi le premier, du développement personnel. Mes propos ne visent pas le rejeter tout en bloc. Mais gardons un esprit critique sur toutes les formules magiques et les recettes miracles promulguées par des pseudo-winners en quête de reconnaissance (et d’argent). Si ces recettes magiques existaient, il y a belle lurette qu’on les connaitrait. J’ai bien peur que notre bien-être au travail et toutes les conditions d’un épanouissement professionnel ne proviennent pas seulement d’un travail sur nous mais d’un véritable changement de société. En attendant, nous pouvons toujours tenter de progresser dans notre activité et notre créativité en faisant appel au bon sens, à l’intuition et au respect de ce nous sommes.

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