La créativité, j’en ai déjà parlé dans un article précédent. J’abordais la question sous l’angle de mon ressenti, de mon expérience, de mon avis… un article qui parle finalement plus de moi que de créativité. On fait ce que l’on peut avec l’ego que l’on a ! Les questions que je soulève dans mes articles continuent de me préoccuper même après avoir couché mes réflexions sur le papier. C’est en creusant que je suis tombé sur le travail passionnant d’une scientifique qui s’est penchée sur la question de la créativité, mais de façon objective car basée sur des résultats scientifiques. Tout le contraire de moi qui organise mes réflexions à partir de mon petit nombril - ce qui peut avoir son charme d’un point de vue érotique, mais restons calme et concentrons-nous sur le sujet. En six points, je vais tenter d’établir une sorte de topographie cognitive de la créativité suivant les conclusions de Samah Karaki, Docteure en Neurosciences (*).
Tout au long de notre vie, le cerveau se modifie, il est plastique. Mou quand on est jeune, dur quand on est vieux, mais il est possible de le façonner à tout âge. Nous pouvons le considérer comme une sorte de réservoir d’expériences, d’idées et de ressources que l’on peut accumuler tout au long de notre vie. La créativité consiste à combiner les éléments contenus dans ce réservoir. On pioche, on associe, on mixe, on se trompe, on recombine et il en sort quelque chose de nouveau. Prenons un exemple simple : grâce à votre curiosité vous avez stocké dans le réservoir trois éléments qui existent déjà dans notre monde, à savoir une pomme, du velours et la couleur violet. En combinant ces trois éléments on obtient une pomme violette en velours (qui, notons-le, est tout à fait nouveau). On voit donc l’intérêt de vivre une vie riche et curieuse, pleine d’expériences, et de ne pas seulement bosser comme un forcené H24. Quand la créativité est à sec, se ressourcer c’est remplir le réservoir.
La contrainte s’avère être un excellent moteur pour la créativité. Aucune contrainte laisse la place à tant de possibilités que l’on peut s’en trouver figer. Par où commencer, par où aller ? La contrainte indique la direction d’une route à prendre. Avancer sur cette route procure un plaisir dont se nourrit le cerveau. La découverte, le défrichage... c’est jouissif. Voir naître une idée sous ses yeux est sans doute le plus grand plaisir qu’un créatif puisse ressentir. On se prend un peu pour Dieu (quelques secondes). Mais attention ! Trop de contraintes empêchent d’avancer, le plaisir s’estompe en emportant avec lui la créativité. Adieu idées lumineuses et éclairs de génie. C’est comme pour tout : il ne faut pas abuser des bonnes choses - et surtout pas des contraintes (ceci est un message déguisé pour mes clients les plus directifs, mais que j’aime bien quand même) !
Le cerveau n’aime pas l’ambiguïté. Il aime que la pomme soit ronde et rouge. Si on lui présente une pomme violette en velours, il n’aime pas ça du tout, il se stresse. Aussitôt, il va se mettre à supputer, à interpréter et à chercher des explications plus ou moins logiques pour se rassurer. Plus on accepte de se confronter à l’ambiguïté, plus notre cerveau va chercher des solutions pour se rassurer. Se confronter à l’inconnu, à des visions différentes des nôtres permet de développer sa créativité. A condition d’être tolérant, ouvert et réceptif à toutes formes d’idées nouvelles ou différentes. Par exemple, si on m’affirme que la Terre est plate comme une pomme, je ne pouffe pas de rire et je laisse mon cerveau se stresser face à l’ambiguïté (je vous rappelle qu’on l’on parle ici de créativité et pas de réalité géographique).
Le plaisir de l’apprentissage, tout comme le désir de plaire, nécessaire à la survie de l’espèce humaine, sont fournis à la naissance. Il faut tout prendre ou ne pas naitre. Si le premier nous motive, le second s’avère contre-productif en matière de créativité. Il y a donc un équilibre à trouver entre le plaisir d’apprendre et le désir de plaire. On le voit bien dans notre expérience du quotidien, dès que nous sommes pris dans un processus créatif épanouissant, nous sommes transportés dans une sorte de bulle extatique et le temps nous échappe. A contrario, dès que nous concentrons tous nos efforts à vouloir plaire et à obtenir un résultat à tout prix, la créativité nous échappe. Se concentrer sur le plaisir permet de s’écarter de l’obsession de résultat et de se libérer du jugement des autres. En d’autres termes, si vous prenez plaisir à tripoter de la peinture, vous évitez le piège de vouloir devenir Picasso.
Le mimétisme fait partie de notre nature humaine. Le cerveau est programmé pour imiter l’autre. Nous empruntons tous les signes de notre époque : le langage, les idées, les outils et, pour ce qui nous concerne, les tendances artistiques. Il s’agit de se faire accepter en tant que membre de la société dans laquelle nous vivons. C’est socialement vital ! Notre cerveau se comporte donc comme une sorte d’éponge qui pompe allègrement tout ce qui flotte dans l’air du temps. La créativité ne part pas de rien, elle nait de ce qui existe déjà, et voici sa recette (ultrasecrète) : ce qui existe déjà + ce que nous sommes intérieurement + le contenu de notre réservoir d’expériences décrit plus haut = quelque chose de nouveau. Toute création s’inspire obligatoirement de ce qui existe déjà ou du travail des autres, il n’y a pas lieu de s’en offusquer. On pompe, donc on crée.
Enfin, il y aurait d’un côté le génie créatif réservé à quelques-uns et de l’autre une masse d’individus dénués de toute créativité. Ceci est une croyance limitante, un mythe destiné à faire briller les premiers pour éblouir les seconds. Au risque de briser vos croyances les plus ancrées, je vous informe que les fées se penchant sur les berceaux n’existent pas. La créativité peut se travailler tout au long de la vie, encore faut-il savoir que ce soit possible. N’est pas Picasso qui veut, sans doute, mais n’est pas créatif qui ne sait pas qu’il peut l’être (ouh là c’est compliqué ça !!!)
La créativité ne tombe pas du ciel, d’un coup, en un seul morceau tout-chaud-tout-beau. Ce n’est pas seulement une question de talent individuel, c’est aussi une compétence du cerveau qui peut se travailler tel un muscle. Et jusqu’à preuve du contraire tout le monde possède un cerveau (même si j’ai parfois un doute pour certains). D’après Samah Karaki, c’est une compétence née du processus qui est fait d’essais, d’erreurs, d’improvisation, d’incertitudes, de hasards. Faut juste se sortir les crayons... de la trousse ! Il n’en reste pas moins que s’il existe des capacités cognitives communes à chaque être humain qui puissent lui permettre d’être créatif, chacun trimbale, parfois comme un gros boulet, sa propre histoire personnelle et sociale. Gardons espoir que tout soit quand même possible pour tous. Tous créatifs, tous !
(*) Le talent est une fiction de Samah Karaki - éditon JC Lattès.