Vous connaissez mon travail plein de bonne humeur de joyeuseté ! Si je vous disais que je suis un indécrottable pessimiste, un anxieux patenté, un misanthrope incurable, persuadé depuis toujours que l’Homme n’est capable que du pire, me croiriez-vous ? Et si je vous disais que mon travail ne reflète en rien ce que je ressens au fond de mon cœur, que tout ce que je crée relève davantage d’un choix délibéré que d’une quelconque nature positive, me croiriez vous ?
J’ai fait un choix pour mes illustrations, celui de la légèreté, de la poésie et de la bonne humeur. J’appelle ça faire le choix du Prévert. Auparavant, en exprimant le fond de ma pensée à travers mes illustrations, je ne faisais que nourrir mon pessimisme et mon anxiété. Fatigué de ma propre fatigue, il m’a fallu faire une pause, un peu comme s’octroyer une semaine de vacances après une belle grosse dose de boulot bien stressant. J'ai donc développé quelques illustrations façon « y a d’la joie, bonjour, bonjour les hirondelles ! » Immédiatement je me suis senti le coeur plus léger. Je sais qu’aujourd’hui, je n’ai pas d’autre alternative que d’en passer par là si je veux me sentir bien.
Ce choix n’a rien d’une stratégie pour mieux vendre mon travail ou pour séduire le plus grand nombre. En faisant le choix du Prévert, je soigne d’abord et avant tout mes maux. Mais j’offre en même temps la possibilité d’un répit à tous ceux qui souhaitent faire une pause, même très courte. Si l’on observe bien notre monde actuel, on peut dire que le cynisme règne en maître absolu, on a besoin de souffler un peu. Comme de nombreux confrères illustrateurs, à qui je tire mon chapeau, je pourrais à travers mes illustrations, combattre, dénoncer, lutter… Mais ce n’est pas un combat dont je sortirais vainqueur.
Non ! Mon combat – tout aussi noble et pas forcément plus facile, vous me l’accorderez - c’est d’apporter un peu de joie dans un monde gangréné par le désespoir, quitte à passer pour un gros candide. Oui, voyez mon travail comme un bon moment qui vous est offert. Refuse-t-on des vacances ? Un déjeuner entre potes ou une bonne bière quand on a soif ? On voit ces moments comme des moments de plaisir. Eh bien, mon travail c’est exactement ça, un petit moment de rien offert à tous. C’est toujours bon à prendre, non ?
Mon approche positivo-positive entraine plusieurs types de réactions, notamment sur les réseaux sociaux, et je les accepte toutes. D’abord, et c’est assez rare, le mépris : « ce mec nous parle de fleurs et de papillons alors que la planète est en ébullition ! ». Ensuite, un peu moins rarement mais tout de même régulièrement, la condescendance : « c’est mignon ces petits dessins, ce mec habite chez les Bisounours ! » Et enfin, je reçois presque tous les jours des remerciements et des commentaires positifs du type « merci pour votre travail, ça me donne la pêche pour la journée ! » Je pourrais en faire une liste d’exemples ici mais ça serait long et répétitif. Face à ces dernières réactions, je ne peux que me dire que j’ai raison d’avoir fait ce choix et que mon combat est juste.
Certes, à travers mes illustrations, je ne cherche pas à dénoncer l’injustice, à enrayer les guerres ou à stopper la misère. Mais je peux, le temps d’un instant, faire changer le regard que l’on porte sur notre monde. C’est mon objectif que de combattre la morosité à grands coups de bonne humeur. Et d’ériger la candeur comme une arme de création massive. Croyez-moi, la tâche est plus ardue qu'elle n'y parait.