Ça roule !

Laissez-moi vous raconter une petite histoire de croisement. Comment un beau matin, deux chemins parallèles de ma vie se sont rapprochés et ont fini par se croiser. Parallèles ? Se croiser ? Impossible en géométrie, mais tout à fait possible dans la vie d’un illustrateur toujours en quête d’inspiration, quitte à tordre les droites pour les arrondir un peu - les illustrateurs font ce qu’ils veulent avec les traits ! Durant des années, chez moi, illustration et vélo ont fait route à part sans jamais se rencontrer. C’est là que l’on prend conscience de nos esprits étriqués, jalonnés de barrières de « sécurité ». Sur la route de gauche se déplaçait, à toute berzingue, le travail-passion et sur la route de droite, le mode-de-vie-passion circulait en mode pépère, en équilibre sur deux roues. Sans la passion, ces deux-là ne se seraient jamais rencontrés. Et quand la créativité frappe à notre porte, qui peut se défendre de la laisser entrer et de la laisser s’exprimer librement ?

L'illustrateur vu de l'intérieur : ça roule !

Mon rapport au vélo n’est pas sportif, ni pratique, pas écologique, ni économique, et pas même militant. Je considère le vélo comme un mode de vie poétique, sentimental, un brin nostalgique. J’ai grandi sur vélo. Je me souviens très précisément du jour et du lieu où j’ai réussi à pédaler sans les petites roues. Quelle joie immense ! Le sentiment de liberté et d’équilibre ressenti à ce moment ne m’a jamais quitté. Aujourd’hui encore, dès que j’enfourche mon vélo, c’est mon enfance que je convoque. Sur mon vélo, je redeviens le gamin insouciant que j’étais, le bonheur en bandoulière et la vie devant soi. Quand Proust sort son paquet de madeleines, moi je sors ma bicyclette et je respire à pleins poumons.

La respiration, je la trouve aussi dans mon autre passion : l’illustration. Là encore, l’enfance s’invite avec toutes les bandes dessinées avalées au kilomètre. Il m’aura fallu attendre des années pour me rendre compte de cette évidence que de nombreux points communs existaient entre mes deux passions : le rapport joyeux à l’enfance, le goût du design, un besoin essentiel à mon bien-être, le plaisir de la pratique et surtout... l’équilibre. L’équilibre des formes, des couleurs, de la composition pour l’illustration et l’équilibre du corps pour le vélo. J’ai compris tardivement (on en apprend tous les jours sur soi !) que l’équilibre était tout ce sur quoi je m’étais construit. L’équilibre, ce point fragile, ce centre de gravité fiché au fond de mon ventre, qui, déplacé d’un chouïa entraine la chute. Cet équilibre dont nait le mouvement m’a propulsé plus loin que je ne l’avais imaginé. J’ai couché sur une feuille blanche ma première illustration de ce qui allait devenir Les petits vélos de Clod et toute la ribambelle d’images de biclous dont j’inonde les réseaux sociaux.

Mais ce n’est pas tout !

En 2019 j’organise à Paris une exposition présentant mes premières illustrations sur le vélo. L’exposition circule un peu à droite et à gauche dans l’Hexagone. Un coup de pédale en entraine un autre, un beau jour, me voilà invité à la librairie en bas de chez moi pour une rencontre autour de la thématique du vélo. C’est à cette occasion que je fais la connaissance de Stein van Oosteren – à qui on pourrait décerner le titre de Monsieur Vélo en France. Une rencontre heureuse car, lors de nos échanges, l’idée nous vient de développer un projet ensemble. Un an et demi plus tard, nous avions en images 50 bonnes raisons de faire du vélo et de quoi imprimer un beau livre. Ce qui ne s’est pas fait attendre, car l’éditeur Makisapa découvre le projet sur les réseaux sociaux et nous propose d’éditer l’ouvrage. Ça roule !

Malgré le titre 50 bonnes raisons de faire du vélo, je ne cherche pas à convaincre qui que ce soit de l’intérêt d’enfourcher un vélo. Je veux simplement transmettre mon émotion à travers mes illustrations. J’espère distribuer de la joie, de la poésie, un peu de philosophie et surtout je cherche à susciter de l’envie. Tous ces petits plaisirs à portée de main dont il serait dommage de se priver. C’est gratos et accessible au plus grand nombre. On entre ici par la petite porte de la sensibilité créative et non plus par des arguments rationnels et techniques, un peu chiants, il faut bien le dire ! Et puis ce livre se veut un pas de plus pour l’entrée du vélo dans la culture populaire - place déjà occupée en grande partie par l’automobile. Bientôt sur nos écrans, dans les romans, le romantisme à la française ne pourra plus se passer d’un petit coup de pédale. C’est aussi vite oublié que la bicyclette a été, à une époque, un formidable moyen d’évasion pour les classes populaires lors de l’invention des congés payés et un vecteur d’émancipation pour les femmes. On y revient, on est en plein dedans.

À bien y réfléchir, le croisement dont je parle plus haut, n’en n’est pas un. C’est plutôt un point de convergence car illustration et vélo font un bout de chemin ensemble dans ma vie depuis quelques temps. La première conséquence a été que j’ai vu fleurir les commandes d’illustrations en rapport avec le vélo - sujet à la mode ; impossible d’y échapper. La deuxième conséquence c’est que je découvre un nouveau monde, je fais des rencontres intéressantes, improbables parfois. Je sors du microcosme de l’illustration, en allant de surprises en surprises. Le monde ne demande qu’à être exploré dans ses moindres recoins. La troisième conséquence c’est que je donne du sens à mon activité, même si ma démarche n’est pas militante, je suis convaincu d’œuvrer pour le bien environnemental. Enfin, mieux que tout, j’éprouve un énorme plaisir à lier ces deux passions. Le plaisir étant le gage d’une créativité épanouie.

On ne peut parler correctement que d’un sujet que l’on éprouve vraiment et que l’on vit sincèrement, j’en suis convaincu. Je ne suis pas illustrateur, je ne suis pas cycliste, je ne suis pas non plus l’illustrateur du vélo, je n’appartiens à aucune communauté. Je me sens simplement libre d’aller où bon me semble, pédaler, croquer, contempler, grimper, rêver, écrire, que sais-je encore ? Il y aura d’autres croisements car tous mes chemins parallèles ne demandent qu’à se courber pour se rejoindre.

50 bonnes raisons de faire du vélo, bannière

50 bonnes raisons de faire du vélo – Clod et Stein van Oosteren - Editions Makisapa – En librairie le 7 juillet 2023

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