Trois illustrations passées au crible

Derrière une illustration réussie se cache une multitude d’astuces et de petits trucs que l’illustrateur a su utiliser pour que vous soyez conquis au premier coup d’œil, sans que vous ayez eu le temps de vous poser la moindre question. Dans l’idéal, il faut même que l’illustration paraisse évidente aux yeux du lecteur, que l’idée semble facile, que ça coule de source en quelque sorte. Pour le dire de façon plus trivial, « quand ça sent la sueur, c’est raté ! » Mais sachez que dans ce domaine, ce qui paraît facile est très souvent le résultat d’un savoir-faire bien réel, et pour le coup, pas si simple que ça. Je vous montre de quoi je parle ? C’est parti ! Je vous ouvre les coulisses de la création de trois illustrations réalisées pour Le Parisien. Méfiez-vous, je contrôle votre cerveau !

PRISONNIERS DE LEUR AMOUR

Un gardien de prison tombe amoureux d’une femme incarcérée. Leur amour est impossible en vertu du règlement pénitentiaire.

Clod expose au Parisien

L’analyse...

Ma première préoccupation a été de trouver le meilleur symbole représentant une prison : une cage. A partir de l’idée « cage » et du champ lexical associé à ce mot, tout s’est mis en place : la cage, l’oiseau, l’emprisonnement... Je voulais qu’il se dégage de cette illustration une certaine forme de poésie, en raison de la dimension romantique de ce fait divers. La femme, petite et vulnérable, que l’on ne peut s’empêcher de voir comme un oiseau prisonnier remplit cette fonction poétique. Le gardien de prison sort de son rôle habituel, il tient la cage contre sa poitrine et semble en même temps protéger de ses mains la frêle femme emprisonnée dans la cage. Les couleurs froides, correspondantes à l’univers carcérale, sont contre balancées par une petite touche de rouge qui attire l’œil et qui est volontairement placée comme un cœur au milieu de la poitrine du gardien de prison. Le mur de brique qui barre l’horizon est un symbole évident du mur d’enfermement. Il subsiste néanmoins une lueur d’espoir touchant la prisonnière sous la forme d’un halo de lumière venant de l’extérieur de la prison.

LES CITÉS, NOUVEL ELDORADO DES PROXÉNÈTES

La prostitution se développe dans les quartiers sensibles. Cette criminalité, où les proxénètes sont à peine plus âgés que leurs victimes, est très lucrative.

Clod expose au Parisien

L’analyse...

Il m’a semblé difficile d’illustrer un article sur la prostitution sans montrer la prostitution en elle-même. Dans cette illustration tout repose sur la représentation de la femme. Je voulais surtout éviter de tomber dans les clichés de représentation de la prostituée tels qu’on les voit souvent. L’idée graphique m’est venue en feuilletant un de mes carnets de croquis dans lequel j’avais esquissé une série de statuettes africaines croquées sur le vif au Musée du Quai Branly. Comme sculptée grossièrement dans un bois sombre, la femme nue est allongée dans une position lascive qui suggère un rapport au sexe. Le visage inexpressif et son apparence de statue la relèguent au rang de femme-objet. Entre ses jambes légèrement écartées circulent de petites silhouettes masculines guidées vers l’entre-jambe de la femme. Il n’y pas plus d’ambiguïté. Mais ce sont les yeux des deux personnages cachés derrière les immeubles de la cité qui attire finalement l’attention. On comprend que l’un surveille et que l’autre organise la prostitution. Ecrasée sous le poids de la cité et de la présence des proxénètes, la femme, que la lumière des réverbères n’atteint pas, reste définitivement figée comme morte sur un lit de billets de banque. Les couleurs froides et les textures rappeuses des immeubles ajoutent de la tristesse à la noirceur de la situation.

VIOLENCE CONJUGALE : VICTIME ET RESPONSABLE ?

Paraplégique après avoir été défenestrée par un mari violent une femme se voit refuser l’indemnisation maximale. La justice estime qu’elle n’aurait pas dû revenir chez elle le soir du drame.

Clod expose au Parisien

L’analyse...

Le mot terrible de « défenestration » a été le déclencheur de mon idée dans cette illustration. À la lecture de ce fait divers, j’ai tout de suite su que la fenêtre serait l’élément central de mon idée. La fenêtre, ce passage entre le dehors et le dedans, entre ce qui se passe à l’intérieur et ce que l’on voit ou ne voit pas de l’extérieur. J’ai voulu placer le lecteur dans la position désagréable de témoin de l’horreur. La scène qui se déroule ici, peut très bien se passer en face de chez vous. Que feriez-vous alors ? De cette fenêtre trop grande, la femme trop petite va inévitablement basculer. D’ailleurs, ses cheveux penchent déjà vers le vide. L’ombre démesurée de l’homme va s’abattre violemment sur la femme impuissante. Nous sommes au climax du drame, c’est le moment où tout bascule, « l’instant décisif » en quelque sorte. Dans cette ville fantôme, personne n’est là pour aider cette femme. Les portes closes et les immeubles « interdits » ont poussé la femme à revenir chez elle. Le rouge-sang des cheveux de la victime annoncent déjà la couleur. Les lourds nuages gris verseront peut-être leur pluie pour laver les traces du drame.

CQFD !

Une illustration réussie est une illustration qui fait confiance à l’intelligence du lecteur, à sa capacité de faire des liens entre des idées. C’est une illustration simple mais pas simpliste où tout est en équilibre tant au niveau de l’idée que de la composition. L’illustrateur compose l’image pour que votre regard soit guidé vers les bons éléments de l’image afin que votre cerveau fasse dire à votre bouche « Superbe cette illustration de Clod ! »

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